C’est autour de cette thématique que Jean-François Dugas et son équipe abordent la manière dont le transhumanisme change et transforme l’humain dans la série de jeux vidéo Deus Ex. Au cœur même des avancées technologiques de notre génération, Deus ex met en abîme un débat bien trop similaire à celui que nous affrontons depuis quelques années avec l’intelligence artificielle : l’humain peut-il se mettre en danger s’il dépasse ses propres limites par un accès illimité à la technologie ?
Le transhumanisme au cœur du débat
Deus ex explore le potentiel des augmentations et des implants bioniques. On y découvre un monde où l’humain a atteint son aptitude maximale et cherche encore et toujours à se transcender. L’idée derrière le transhumanisme ? Optimiser les capacités humaines, lutter contre les maladies, le vieillissement grâce à toutes les technologies robotiques (bras en carbone, yeux bioniques) et génétiques (implants destinés à booster les capacités du cerveau) existantes ou réinventées.
Au travers du personnage principal Adam Jensen, ancien agent du SWAT reconverti dans la sécurité privée pour Sarif Industries, leader du marché de la biotechnologie, le joueur est amené à parcourir un univers précurseur de la tendance cyberpunk où le transhumanisme est récemment devenu source de conflits. En effet, dans Human Revolution, les évolutions technologiques sont encore majoritairement considérées comme étant révolutionnaires. Le progrès fait rêver. Cependant, les mentalités changent brutalement après un véritable cataclysme dans le scénario de Mankind divided. En 2027, comme pris de folie, les augmentés perdent le contrôle et assassinent pas moins de 50 millions d’êtres humains sur la planète. L’humanité traditionnelle se révolte contre ces « humains 2.0 ». Se pose alors la question de savoir ce qui caractérise réellement un être humain.
La peur de l’autre : un sujet à l’épreuve du temps
Déchirées par une guerre civile entre les humains « purs » et les « augmentés », les deux populations se terrent dans une ségrégation parfois très proche de ce que l’on connaît de l’Apartheid. Un à un, les droits des « augmentés » sont réduits, puis supprimés pour laisser pleins pouvoirs aux humains « purs ». Cette répression sans précédent est confrontée par des révoltes, des insurrections et même encore des attentats qu’ils qualifient de « terroristes ». Des groupes d’extrémistes apparaissent et prônent le retour à l’humain « d’avant ». Des actes de violence éclatent à tous les coins de rue, provoquant une anarchie totale et destructrice. L’humanité se retrouve plongée dans une grave crise existentielle et politique.
La peur de l’autre caractérise le moment où la différence devient une menace. L’évolution ne signifie pas l’uniformisation. Certains profitent des technologies plus facilement que d’autres (notamment les lobbyistes et les industries pharmaceutiques) et les inégalités se creusent, créant alors des discordes là où l’unité pourrait être une force pour le développement de la vie. Trouver un équilibre est difficile. La technologie, si elle constitue un progrès, devrait être au service de l’Humanité tout entière, mais comme toujours, les abus de pouvoirs et personnalités changent les règles. Ainsi, les « augmentés » de Deus ex sont repoussés dans les ghettos de Prague et les ruines d’un Dubaï abandonné, laissés à leur propre sort. Pourtant, bon nombre d’entre eux ne sont que des humains que la science a aidés à survivre. Qu’en est-il alors de cet apartheid mécanique, de ces exclusions, de cette haine envers les « augmentés », responsables de tous les maux des humains « purs » ?
De chair et de métal, les augmentés représentent ce qu’est concrètement le transhumanisme : un achèvement pour la science, un fantasme pour ceux qui rêvent d’incarner le surhomme.
Morale, éthique ou survie : le choix de la réflexion
Deus ex, ce n’est pas un simple FPS. Dès le premier opus, le jeu met l’accent sur une thématique un peu différente : l’infiltration. La dimension RPG dans Deus ex propose depuis le premier épisode de pouvoir se spécialiser dans ce domaine et donc d’aborder les affrontements différemment. Parmi les armes non létales, on retrouve le TESLA. Ce système de décharge électrique ciblée est capable d’envoyer un arc électrique de 200 milliampères. Utile pour neutraliser des cibles, la charge élevée de courant provoque des contractions musculaires suffisamment fortes pour bloquer le cœur et empêcher un arrêt cardiaque complet, laissant la cible inconsciente, mais vivante. Les munitions IEM pour fusils permettent également de paralyser ses ennemis sans les tuer. Ainsi, il est tout à fait possible de terminer le jeu sans avoir pris la vie de qui que ce soit.
Mankind Divided fait preuve de beaucoup d’élégance dans sa jouabilité, en poussant le joueur à choisir entre une approche frontale ou plus subtile lors des scènes d’action. Par exemple, Adam Jensen est capable de séquencer les mimiques de ses interlocuteurs et ainsi de peser leur sincérité. Le jeu propose alors une interface où le dialogue est crypté : à vous de découvrir la vérité. Mais bien souvent, il est aussi possible de s’en servir pour manipuler ou obtenir des informations auprès des personnages. De la même manière, Adam peut pirater les nouvelles technologies grâce à ses augmentations. Pour cela, de nombreux jeux annexes sont proposés et permettent de dégoter des codes de banque, mais aussi de pirater les habitations d’inconnu et entrer dans leur intimité.
Chaque dialogue, chaque réponse, chaque action est pensé pour offrir un dilemme éthique au joueur. User de la diplomatie, de la discrétion, de la force brute : le choix est vôtre. Mais alors, peut-on parler de « bons » et de « mauvais » choix ? A l’heure où l’idée d’une amélioration de la technologie et de l’intelligence artificielle est profondément ancrée dans la société Deus Ex, l’homme est-il capable d’accepter son obsolescence plutôt que de se soumettre à cette technologie offrant des capacités de demi-dieu ? Sachez dans tous les cas que chacun de vos choix exercera une influence sur la suite de votre expérience de jeu.
De Frankenstein à Blade Runner, en passant par Iron Man et les x-men : le transhumanisme est à l’affiche depuis de très nombreuses années. Pourtant, si aujourd’hui il pose autant d’interrogation, c’est parce que la réalité nous a rattrapé. Et c’est normal : la science-fiction est une façon de parler du monde réel. Avec cette approche, l’esprit Deus ex est une manière d’explorer qui nous sommes et de comprendre les limites que l’on souhaite accorder à l’évolution.
La franchise dépeint parfaitement ce dilemme entre humanité, droit et sécurité. En instaurant un apartheid mécanique, Deus ex montre à quel point la peur de renouveau provoque des réactions allant jusqu’à l’encontre du principe même de l’humanité.
De la ruée biotechnologique et manipulation génétique aux tentations eugénésiques : peut-on encore définir ce qu’est réellement l’humanité de l’homme ? En tout cas, Deus ex vous plonge dans un univers hyper réaliste où ces idées s’affrontent.